La Danza de la Realidad & Poesía Sin Fin – En attendant Jodo

Jodorowsky et la (sur)réalité de l’existence.

Quand on s’aventure dans les contrées du cinéma étrange, bizarre et déroutant, il y a un nom qui finit forcément par ressortir sur toutes les lèvres : Alejandro Jodorowsky. Le cinéaste, plus connu sans doute pour ses étonnants El Topo, La Montagne Sacrée ou encore sa dantesque adaptation avortée de Dune, a fomenté il y a quelques années le projet d’une longue autobiographie cinématographique en cinq volets, pour raconter sa vie entre le Chili et la France dans une fresque poétique comme lui seul sait les dessiner. Si cette ambition pourrait ne jamais aboutir, étant donné que le réalisateur est déjà âgé de 90 ans et qu’il lui reste trois films à faire, nous disposons tout de même déjà de deux premières œuvres surprenantes ; voici La Danza de la Realidad et Poesia Sin Fin.

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Au feu les pompiers !

LA DANZA DE LA REALIDAD

Réalisateur : Alejandro Jodorowsky

Acteurs principaux : Brontis Jodorowsky, Jeremías Herskovits, Pamela Flores, Alejandro Jodorowsky

Date de sortie : 4 septembre 2013

Pays : Chili, France

Budget : 3 millions $

Box-office : 558 636 $

Durée : 2h13

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Je crois que ta valise est mal fermée…

POESIA SIN FIN

Réalisateur : Alejandro Jodorowsky

Acteurs principaux : Adan Jodorowsky, Pamela Flores, Alejandro Jodorowsky

Date de sortie : 5 octobre 2016

Pays : Chili, France

Durée : 2h07

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AH !

AUTOBIOGRAPHIE FICTIVE

Le jeune Alejandro « Alejandrito » Jodorowsky (Jeremías Herskovits) a grandi dans le petit village de Tocopilla au Chili, élevé par un père autoritaire et colérique, Jaime (Brontis Jodorowsky) et une mère douce mais délirante, Sara (Pamela Flores). Dans ce contexte, le futur cinéaste va passer de l’enfance à l’adolescence en affrontant ses peurs, découvrant ses désirs et révélant les bourgeons de son identité ; tandis que son père part dans une croisade frénétique pour assassiner le président Carlos Ibáñez (Bastián Bodenhöfer), et finalement trouver la rédemption de son âme tourmentée.

Plus tard, la famille va déménager vers la capitale, Santiago. C’est là que notre héros va faire la découverte de la poésie… Et en faire son objectif de vie. Désormais adulte, Alejandro (Adan Jodorowsky) se fraye tant bien que mal un chemin dans la vie artistique chilienne, sur les traces du grand Nicanor Parra (Felipe Rios), accompagné de sa muse Stella Díaz Varín (Pamela Flores, encore) et de son ami Enrique Lihn (Leandro Taub). Prenant toute la mesure des possibilités infinies de son talent, il embrasse la danse de la réalité et en tire une poésie infinie, dans une quête éperdue pour sauver le surréalisme…

Il est fréquent, à juste titre, que les cinéastes incorporent une part d’eux-mêmes dans leurs œuvres, trouvant là une occasion d’exprimer des sentiments personnels à visée universelle. De plus, les films biographiques, biopics (First Man, Bohemian Rhapsody, BlacKkKlansman) ou documentaires (Grey Gardens), se sont toujours taillés une part de choix dans le gâteau cinématographique. L’autobiographie, en revanche, si elle peuple aisément les étagères des librairies, est bien plus rare au cinéma. Et pour cause ! On a tôt fait de taxer d’égocentrisme quiconque prendrait l’effort de monter tout un film à sa propre gloire. Certains racontent donc leur vie par moyens détournés, comme Alfonso Cuarón et Roma où il dépeint la vie de la femme de ménage de son enfance, et ainsi la sienne par regards interposés. Un réalisateur, cependant, a parsemé sa carrière de nombreuses œuvres plus ou moins autobiographiques ; son nom ? Federico Fellini. Si Huit et Demi s’imprégnait déjà de l’expérience personnelle du réalisateur, ce sont les plus tardifs Roma, Amarcord et dans une moindre mesure Les Clowns qui relatent des épisodes de sa vie, dans un subtil mélange entre vérité et rêves. Et c’est précisément dans ses traces que marche ici Jodorowsky !

Au lieu de rejeter l’égocentrisme dont je parlais ci-dessus, le poète-cinéaste l’embrasse totalement et en fait sa muse. Fi des critiques, ce projet autobiographique est Jodo par Jodo, un trip mégalomaniaque où le fond et la forme s’unissent en symbiose pour chanter les éloges de leur créateur. Et après tout Billy, c’est exactement ce qu’on vient voir. La Danza de la Realidad et Poesía Sin Fin mêlent une vie déjà hors du commun à des images imaginaires fantasmagoriques, mettant en exergue les sentiments et pensées évoqués par les souvenirs plutôt que leur véracité contextuelle. Jodorowsky brise le carcan de la réalité et la transcende en quelque chose de plus grand, une surréalité, à l’image de son modèle Fellini dans un délire sous drogues.

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Toute cette crispation ! (Elie, tmtc)

LE POIDS DES MOTS, LE CHOC DES PHOTOS

À bien des égards, les deux films sont une affaire de famille. En effet, Jodorowsky met en scène, en plus de sa propre jeunesse, ses trois fils ; Brontis, Adan et Cristóbal. Si les deux derniers sont relégués à des rôles tout à fait mineurs – mais néanmoins marquants – dans La Danza de la Realidad, Brontis, lui, incarne le père d’Alejandro, soit son propre grand-père, dans le véritable rôle majeur du film. Car en effet, même si le projet est autobiographique, on se rend bien vite compte que le premier film se consacre finalement bien plus au père de Jodorowsky, étudiant son parcours du combattant et son chemin de croix, montant ainsi un personnage complexe et intriguant servi par une performance réellement prenante. Il est alors un peu dommage que Jaime se fasse moins présent dans Poesía Sin Fin, et qu’il retourne à ses premiers travers ; mais qu’à cela ne tienne, c’est pour laisser plus de place à Adan Jodorowsky dans le rôle de son père (ça devient compliqué), où il resplendit tout autant. Il faut aussi mentionner Jeremías Herskovits, qui joue Jodo dans le premier film, et qui n’est autre que son petit-fils dans la vraie vie. Un clin d’œil est par ailleurs fait à ce sujet au début du film, quand Sara, dans un de ses délires maternels, imagine voir en Alejandrito la réincarnation de son aïeul, ce qui est donc techniquement le cas puisque Jeremías joue le rôle de son propre grand-père Jodorowsky. Tu suis toujours Billy ?

En parlant de Jodorowsky, lui-même s’offre aussi des apparitions ponctuelles dans les deux films, où il vient parler à ses lui antérieurs – et donc dans le même temps à son fils et petit-fils respectivement – comme un visiteur omniscient de son propre passé, jetant un regard rétrospectif sur sa propre vie en sachant tout ce qui était venu avant et tout ce qui viendrait après. Ces interventions sont souvent sources d’émotions vives, tout particulièrement lorsqu’il se fait spectateur de sa toute dernière rencontre avec son père, le personnage s’imaginant un au-revoir, mais lui sachant que c’est un adieu.

Et puisqu’on en est sur les acteurs, il convient de mentionner la seule actrice principale des deux films, et la seule des personnages majeurs qui n’est pas de la famille de Jodorowsky, Pamela Flores. Elle livre une double performance magnifique, jouant à la fois la mère, Sara, dans La Danza de la Realidad, puis la muse, Stella, dans Poesía Sin Fin ; deux personnages aux antipodes l’un de l’autre, mais deux femmes fortes et empreintes d’une grande beauté chacune à leur façon. En plus de cela, elle redouble encore plus d’effort puisque tous les dialogues de Sara (sauf une réplique, sur les deux films) sont chantés sous forme d’opéra, et également parce que de tous les acteurs, c’est celle qui se met le plus à nu. Littéralement.

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« Comment ça littéralement ? »

LE PAPILLON ARDENT

Si tu n’es pas familier avec l’univers de Jodorowsky, Billy, tout comme je ne l’étais pas avant ces deux films et mes recherches attenantes, il convient de te prévenir : c’est étrange. Parfois très étrange, voire carrément outrancier. Et dans cette optique précisément s’insère un certain nombre de scènes de nu, de la part de quasiment tous les acteurs principaux (excepté Herskovits, étant donné qu’il est mineur ça aurait posé problème), et notamment Pamela Flores. En soi il n’y a rien de mal à ça, et la plupart d’entre elles sont réellement d’une grande beauté et lourdes de sens métaphoriques – je pense notamment à la traversée invisible du bar de marin de La Danza, ou à la scène où Stella se dévêtit dans Poesía – mais dans certains cas, Jodo joue purement et simplement sur la provocation, cherchant délibérément à choquer, et cela peut aisément en dérouter plus d’un. Il ne faut pas non plus trop réfléchir au fait que Brontis et Adan jouent tous les deux nus devant leur père de 90 ans, sinon ça devient vite un peu malsain.

Pour autant, il ne faut se laisser rebuter par ces quelques scènes – d’ailleurs je pense qu’elles sont plus faciles à assimiler si on s’attend à voir des choses de cet acabit, enlevant ainsi l’effet de surprise déconcertant. Car une fois que l’on franchit ce cap, alors le monde de la poésie, que Jodorowsky compare magnifiquement dans le second film à un « papillon ardent » qui prend son envol, s’offre à nous. Le réalisateur reconstruit sa vie autour de véritables tableaux surréalistes merveilleux, qui prouvent une fois pour toutes qu’une image vaut milles mots. À travers une composition délicate et des couleurs vives et puissantes, il donne naissance à une œuvre qu’aucune autre forme d’art n’aurait jamais pu dépeindre, et nous fait accéder à un monde aux rêves inénarrables.

Si je devais donner une seule raison nécessaire et suffisante pour voir ces films, ce serait la scène que j’ai choisie comme image d’entête et qui est reprise dans le gif ci-dessous. Ce plan est la seule et unique raison qui m’a donné envie de voir La Danza de la Realidad et Poesía Sin Fin, et il me hante depuis la toute première fois où je l’ai vu. Sa beauté envoûtante est tout bonnement extraordinaire, la passion des couleurs est exaltante, et la mise en scène est parfaite. Adan, dans le rôle de son père, surplombe la foule du carnaval dans son habit angélique d’un blanc immaculé, semblant à la fois contrôler la masse de démons écarlates et de squelettes ténébreux, et à la fois vouloir s’en extirper dans un battement d’ailes éthéré pour s’en retourner vers les cieux. Si ça n’est pas de la poésie infinie, je ne sais pas ce qu’il te faut de plus.

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Cette SCÈNE ! ❤

LE MOT DE LA FIN

La Danza de la Realidad et Poesía Sin Fin sont, dans la plus pure tradition jodorowskyenne, des œuvres parfois déconcertantes, mais souvent magnifiques. Les deux premiers volets de la quintalogie autobiographique de Jodorowsky offrent une plongée intensément poétique dans ce qui a été, ce qui aurait pu être, et ce qui a été rêvé dans la vie d’un réalisateur décidément hors du commun.

Note de La Danza de la Realidad : 7,25 / 10

Note de Poesía Sin Fin : 7,75 / 10

« JODOROWSKY – J’ai vendu mon diable à l’âme ! »

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Dernier bateau pour Paris !

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à leurs ayants-droits respectifs, et c’est très bien comme ça

2 commentaires sur “La Danza de la Realidad & Poesía Sin Fin – En attendant Jodo

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