The Artist – La magie du cinéma

L’artiste du 7ème Art, au 7ème Café.

Ah, The Artist. Dernier film de notre petite série en noir et blanc, après avoir exploré les années 1927, 1953 et 1958, qui nous ramène à l’ère moderne. Se déroulant entre 1927 (soit l’année de sortie de Metropolis et du Chanteur de Jazz, premier film parlant) et 1933, il raconte l’histoire de la rencontre entre la star de films muets George Valentin (Jean Dujardin) et l’étoile montante du cinéma parlant Peppy Miller (Bérénice Béjo), à l’heure où Hollywood s’apprête à changer définitivement…

Cette affiche est une œuvre d’art à elle seule.

THE ARTIST

Réalisateur : Michel Hazanavicius

Acteurs principaux : Jean Dujardin, Bérénice Béjo

Date de sortie : 12 octobre 2011

Pays : France

Budget : 15 millions $

Box-office : 133,4 millions $

Durée : 1h40

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La vie, c’est d’abord des rencontres…

À LA CROISÉE DES MONDES

Pour citer Otis dans Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre :

« La vie […] c’est d’abord des rencontres. »

Et effectivement, The Artist aussi, c’est d’abord une histoire de rencontres.

Au premier plan bien sûr il y a l’alchimie entre George Valentin et Peppy Miller, qui se croisent fortuitement lors de la première du film du premier, se recroisent sur un plateau quelques temps après, puis se croisent et se recroisent encore au fur et à mesure que l’histoire progresse. Leur relation a quelque chose d’infiniment complexe mais aussi de grandement magnifique, avec des affinités de l’ordre d’un certain amour platonique, mais aussi de l’amitié, du respect, ou encore une relation mentor/disciple de Valentin envers Miller lorsqu’il la fait percer à Hollywood. Il y a toutes ces différentes couches qui structurent The Artist et font germer l’histoire. Et l’alchimie entre les deux personnages est d’autant plus grande qu’à travers elle transparaît l’alchimie véritable entre Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Leurs talents d’acteur et d’actrice respectivement, et la pureté des émotions qu’ils convoient sont tout à fait extraordinaires.

Mais The Artist c’est aussi la rencontre entre deux mondes : d’un côté l’ère du cinéma muet qui s’achève, et de l’autre les films parlants qui émergent. Cette dualité est d’ailleurs inséparable de celle qui oppose Miller et Valentin, chacun incarnant à travers un personnage l’une des deux époques – Valentin pour le muet, Miller pour le parlant. Et par conséquent à travers leur relation c’est le récit d’un tournant majeur de l’histoire du cinéma qui se reflète. À ce titre, The Artist lui-même se fait représentation de cela en étant, en 2011, un film muet en noir et blanc.

Et c’est finalement là que se crée la troisième rencontre, celle entre le monde moderne – donc le public – et le film. The Artist est une lettre d’amour à ce cinéma antique, presque centenaire, mais si particulier, et à travers l’écran et la résurrection du style noir et blanc muet, Hazanavicius cherche à nous faire partager cet amour. Un amour impartial d’ailleurs, qui ne choisit pas de camp entre le muet et le parlant mais les embrasse tous deux à la perfection.

On peut regarder le film en silence, oui ?

LA MAGIE DU CINÉMA

Je ne parle pas souvent, pour ne pas dire jamais, ou alors en termes peu élogieux, de films français sur le 7ème Café. Pourtant quand je le fais, et qu’ils sont bons, il faut bien le remarquer ! Et justement The Artist n’est pas seulement bon, il est excellent.

7 BAFTAs.  3 Golden Globes. 6 Césars. 5 Oscars. Prix du Meilleur Acteur au Festival de Cannes. Et la liste continue, encore et encore. The Artist est le film français de tous les records, le plus récompensé de l’Histoire, rien que ça. Premier Oscar du Meilleur Acteur pour un Français. Premier Oscar du Meilleur Film pour un film français. Première fois qu’un film en noir et blanc remporte l’Oscar depuis 1993 et première fois qu’un film muet le remporte depuis 1929 et Les Ailes (!). C’est tout simplement incroyable.

C’est d’autant plus incroyable que The Artist avait tout contre lui. Il ne pouvait pas marcher. C’était juste impossible. Réalisé par Michel Hazanavicius alors que ses seuls films avant ça étaient les deux OSS 117, avec Jean Dujardin en premier rôle dramatique alors que jusqu’alors ses plus grands succès étaient Un gars, une fille, Brice de Nice et les OSS 117 justement. Et comme si ce n’était pas assez, je rappelle que c’est, en 2011, un film en noir et blanc – ce qui se fait de moins en moins – et muet, alors que depuis les années 60 ce type de films se compte littéralement sur les doigts d’une main. Tout, mais absolument tout, prédisait une catastrophe, et pourtant ! Quelqu’un a accepté de financer ce projet fou et Dieu sait que ça a payé.

Et le plus incroyable dans tout ça, c’est que je ne comprends pas pourquoi ça a payé. The Artist m’a fait rire, pleurer, frémir, et je l’ai adoré profondément, mais je suis incapable d’expliquer pourquoi. Sur le papier, The Artist reste démentiel. Comment un film pareil en 2011 a pu fonctionner ? Est ce que ce sont les performances phénoménales de Jean Dujardin et Bérénice Béjo ? Est ce que ce sont la réalisation parfaite et le scénario magistral de Hazanavicius ? Est ce que ce sont les jeux de lumière grandioses de Guillaume Schiffman ? Ou alors les scènes de danse, ou les deux scènes du film où il y a du son ? C’est probablement un peu de tout ça. Je ne sais pas. Et peut-être que c’est mieux comme ça. Après tout, c’est aussi ça, la magie du cinéma.

Le troisième acte de cet article va comporter quelques spoilers, passe ton chemin si tu n’as pas encore vu le film !

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Regarde l’émotion qui passe dans ses yeux. Incroyable.

UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS

Une autre des raisons pour lesquelles The Artist est une réussite totale contre toute attente, c’est peut-être le fait que l’histoire parle à tout le monde. Au delà de la rencontre entre Valentin et Miller, le film est fondamentalement un récit sur le temps qui passe, thème ô combien populaire chez les poètes et pertinent quand repris avec autant de brio qu’ici. The Artist, c’est de la poésie cinématographique.

Tout est centré sur le personnage de Jean Dujardin. George Valentin est une figure de ce cinéma muet à la fin de son ère, figure d’un temps bientôt inévitablement révolu. Il passe le film tout entier à lutter en vain contre ce passage du temps, en refusant de jouer dans des « talkies », les films parlants, puis en réalisant son propre film qui s’avère être un fiasco dans une série de scènes formidables, pour peu à peu déchoir et finir par une tentative de suicide. Valentin s’accroche désespérément à son époque, comme d’ailleurs signifié par tous ces souvenirs de tournage qui prennent une certaine importance dans l’intrigue, au point qu’il va presque en mourir, deux fois en plus, dans le dramatique incendie puis avec la balle du revolver. L’incendie incarne justement l’ère du muet qui se termine, avec ces rouleaux de pellicule qui s’enflamment en un rien de temps – sans mauvais jeu de mots.

Face à l’avancée inlassable des jours, il n’y a finalement que deux solutions possibles : soit nous restons bloqués dans le passé tel Apollinaire sur le pont Mirabeau, soit nous avançons avec le temps.

« Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit, sonne l’heure
Les jours s’en vont, je demeure« 

Valentin passe la majorité du film à tenter d’empêcher le flot du temps. Mais il va finir par être sauvé par Miller, qui, elle, incarne la nouvelle époque du cinéma parlant, la jeunesse que l’acteur n’a plus. Et à travers elle, le temps qui passe n’est plus présenté comme un ennemi, mais comme un ami qui nous accompagne. Et ça change tout ! Valentin ne peut pas changer le passé, mais il peut s’adapter au futur, et c’est ainsi que la scène finale le présente jouant dans une comédie musicale avec Peppy Miller, sans besoin de parole, avec un simple numéro de claquettes.

Ce qu’il faut retenir de tout cela, aussi et surtout, c’est que Valentin n’agit pas de façon irrationnelle. Si il tient tant au passé et à la nostalgie, c’est bien parce que le temps qui passe l’effraie, mais il y a une raison logique à cela. Quand l’actrice lui propose de jouer dans un film parlant avec elle, il répond :

« Personne ne veut m’entendre parler. »

Et la raison de cela se trouve dans la toute dernière réplique du film, la seule ligne de dialogue parlée de Jean Dujardin, quand on lui demande de refaire une scène :

« With pleasure! »

Ce qui signifie « avec plaisir », prononcé avec un fort accent français. Elle est là la cause de la peur qui le motive tout le début du film. Valentin a peur qu’à cause de son accent, les gens n’aiment plus ses films s’ils étaient parlants. C’est finalement la crainte de ne plus être adapté au monde, que le futur ne soit pas fait pour lui.

The Artist est donc un périple pour vaincre la peur du temps qui passe et vivre ses rêves. Nous vieillissons inlassablement, et c’est à nous de décider si l’on reste attaché au passé ou si l’on se tourne vers l’avenir. Sous le pont Mirabeau coule la Seine, et finalement, ce n’est pas si terrible que ça.

Ça tourne !

LE MOT DE LA FIN

Je suis le premier à dire qu’il n’y a plus rien à sauver dans le cinéma français, qui ne se partage qu’entre des comédies débiles et des films d’auteurs insupportables. Mais j’ai – parfois – tort. Nous avons inventé le cinéma, et nous sommes toujours capables de faire de grands films. The Artist en est la preuve incontestable.

Note : 9 / 10

« GEORGE – With pleasure ! »

Pardon ? La critique est déjà finie ?

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à Warner Bros., et c’est très bien comme ça

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