De source sûre et objective.
Tous les dix ans depuis 1952, le magazine Sight and Sound – publié par le prestigieux British Film Institute – réunit les critiques du monde entier pour établir le classement des meilleurs films de tous les temps. Chaque votant remet un bulletin de dix films, et les mentions sont ensuite comptabilisées pour ordonner le tout. C’est le top le plus reconnu dans le domaine, de par l’ampleur du jury, et sa qualité professionnelle ; bref, une véritable institution. Le classement 2022 était particulièrement attendu après le triomphe surprise de Sueurs Froides en 2012, qui avait pris la première place à Citizen Kane qui l’occupait sans interruption depuis 1962 (!). Force est de constater que cette édition n’a pas déçu, et a mis un grand coup de pied dans la fourmilière du 7ème Art mondial lors de sa publication le 1er décembre. Sans plus attendre, voici, d’après 1639 critiques internationaux, les dix meilleurs films de tous les temps.
La liste complète des 100 films les plus mentionnés est disponible ici.
10. CHANTONS SOUS LA PLUIE (Stanley Donen, 1952)

« La transition mouvementée du muet au parlant dans le Hollywood de la fin des années 1920 sert d’inspiration à ce qui est peut-être la plus grande des comédies musicales. »
Tout le monde connaît la chanson. Les jurys critiques sont un milieu où les drames prévalent souvent sur les comédies, et Chantons sous la Pluie en a souvent fait les frais. La comédie musicale de toutes les comédies musicales fait son retour dans le top 10 tous les vingt ans, après avoir occupé les 4ème et 10ème places en 1982 et 2002, et disparu en 1992 et 2012. Pourtant, éternelle source d’inspiration, la valse colorée de Stanley Donen nous emporte, nous entraîne, nous emballe et fait de la vie une danse. I’m singin’ in the rain, what a glorious feeling, I’m happy again!
9. L’HOMME À LA CAMÉRA (Dziga Vertov, 1929)

« Une inventivité sans limites et un montage étourdissant font de cette symphonie urbaine l’une des expériences les plus fines, les plus exaltantes du cinéma, près d’un siècle après sa sortie. »
Avec L’Homme à la Caméra, Dziga Vertov signe le premier grand essai de langage cinématographique. Nourri par l’ambition folle de raconter une ville entière sans un seul mot écrit ou parlé, son film affirme à lui seul l’infini pouvoir du 7ème Art, où, par le jeu du montage, les parallèles et contrastes entre deux images suffisent à construire un récit. On remarquera également que c’est, avec Louisiana Story en 1952, le seul documentaire à avoir jamais accédé au top 10 du classement, et ça, ce n’est pas rien.
8. MULHOLLAND DRIVE (David Lynch, 2001)

« Hollywood est sombre et dangereux, et pourtant séduisant, dans le thriller acclamé de David Lynch. »
En 2016, les critiques de la BBC l’avaient élu meilleur film du 21ème siècle. Souvent considéré comme le fleuron du cinéma de David Lynch, Mulholland Drive agit comme un prisme surréaliste et diffracte la réalité en autant de rêves éveillés. Chaque spectateur aura donc une interprétation différente de ce thriller mené par deux actrices impériales – quant à savoir qui détiendra la vérité, la question reste entière. Après tout, à Hollywood, tout le monde joue un rôle, non ?
7. BEAU TRAVAIL (Claire Denis, 1998)

« Le vrai talent de Claire Denis est d’évoquer l’émotion par le geste et la juxtaposition. Dans le désert, l’eau scintille et tremble, des épaules nues transpirent, des moustiquaires noires rappellent de la lingerie fine. »
C’est la plus grande remontada du classement. Monté en flèche depuis la 78ème place qu’il occupait en 2012 (!), l’ascension fulgurante de Beau Travail témoigne de la réévaluation récente du travail de Claire Denis, couronnée cette année d’un Ours d’Argent à Venise et d’un Grand Prix à Cannes. L’arrivée d’un sublime jeune homme à la légion réveille des désirs enfouis, et c’est tout une chorégraphie qui se met en place entre la grâce des sentiments et la violence du corps militaire, dans une dure interrogation de ce qu’est vraiment la masculinité.
6. 2001 : L’ODYSSÉE DE L’ESPACE (Stanley Kubrick, 1968)

« L’immense vision de Stanley Kubrick sur le voyage de l’humanité, de ses débuts hominidés à son évolution vers un enfant-étoile, signe l’apogée du cinéma de science-fiction. »
Quand Stanley Kubrick a dévoilé 2001 : L’Odyssée de l’Espace en 1968, la science-fiction n’a plus jamais été la même. Mise en scène par un réalisateur en pleine maîtrise de son art, l’odyssée philosophique de 2001 reconfigure l’univers et transcende tous les codes établis du 7ème Art. Aussi triomphal qu’énigmatique, aussi imposant que fascinant – en un mot, et dans tous les sens du terme, cosmique.
5. IN THE MOOD FOR LOVE (Wong Kar-Wai, 2000)

« Le chef-d’œuvre de Wong Kar-Wai est une dévastatrice histoire d’amour interdit qui résonne de la souffrance du désir réprimé. »
L’amour a toujours été une constante dans l’art, mais jamais, ô grand jamais, n’a-t-il été aussi somptueusement représenté que dans In the Mood for Love. Wong Kar-Wai signe moins un film qu’une fine étoffe cousue de fil d’or, qui touche le spectateur en plein cœur et le fait irrémédiablement, lui aussi, tomber amoureux. Un conte absolument crucial, aussi profondément magnifique qu’il est infiniment triste.
4. VOYAGE À TOKYO (Yasujirō Ozu, 1953)

« Dicté par le style simple et élégant de Yasujirō Ozu, ce conte de conflit intergénérationnel est à la fois émouvant et profondément humain. »
Voyage à Tokyo forme, avec les deux films suivants, un trio imparable qui n’a pas quitté le top 5 du classement depuis 1992. Ozu, le plus poète des réalisateurs japonais, nous invite à la contemplation des détails et des choses importantes de la vie ; où le minimalisme et la subtilité sont de mise, pour prouver qu’avec la puissance du cinéma, il en faut peu pour dire beaucoup. Voilà une œuvre majeure qui comprend toute la beauté et la tragédie du temps qui passe inlassablement.
3. CITIZEN KANE (Orson Welles, 1941)

« Longtemps restés au sommet du classement Sight and Sound de 1962 à 2002, les magistraux débuts d’Orson Welles, sur le magnat de la presse Charles Foster Kane, restent un classique intemporel. »
L’éternel numéro 1. Bien qu’il ait été détrôné après un demi-siècle au sommet, Citizen Kane reste encore (et toujours) l’un des plus immenses monuments du cinéma mondial. Orson Welles, dès son premier film, révolutionne un art et réécrit le mythe américain à travers la gloire et la déchéance de son personnage éponyme, pas moins légendaire que son film. Il ne fallut qu’un mot pour ouvrir les portes du panthéon du 7ème Art : Rosebud.
2. SUEURS FROIDES (Alfred Hitchcock, 1958)

« Un ancien détective ayant le vertige est embauché pour suivre une femme apparemment possédée par le passé, dans ce thriller intemporel sur l’obsession par Alfred Hitchcock. »
En toute honnêteté, je n’ai jamais été très fan de Hitchcock. Mais il faut bien lui reconnaître que rares sont ceux qui ont su démontrer une telle maîtrise du suspense, écrivant ses intrigues comme des labyrinthes dont l’issue ne peut souvent être que fatale. Il est d’ailleurs le seul réalisateur, avec Godard, à apparaître quatre fois dans le classement 2022, représenté – hors top 10 – par Psychose, Fenêtre sur Cour et La Mort aux Trousses. Sueurs Froides s’inscrit dans cette grande lignée de thrillers implacables, et fut, pendant un temps, le seul film à avoir pu détrôner l’indétrônable Kane. Mais ça, c’était avant l’arrivée de…
1. JEANNE DIELMAN, 23 QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES (Chantal Akerman, 1975)

« Un magnifique épique de cinéma expérimental, offrant une perspective féministe sur les évènements récurrents de la vie quotidienne. »
Pendant des décennies, le canon du cinéma international a été dominé par l’Amérique, par des hommes, par les genres éculés du drame ou du thriller, par des vieux classiques dont tout le monde a entendu parler des centaines de fois. Et en 2022, quelque chose d’extraordinaire s’est produit. Le nouveau meilleur film de tous les temps est belge, il a été réalisé par une femme, et est un épique expérimental, dont tu n’as peut-être même jamais entendu parler. Derrière le titre aussi sobre qu’évocateur de Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles se cache la simple histoire d’une femme et de sa vie quotidienne ; qui s’affirme comme un triomphe symbolique qui ouvre la place à une nouvelle vision de ce que peut être du grand cinéma. Une surprise, assurément. Mais quelle surprise !
Bien sûr, comme toute entreprise du genre, le classement Sight and Sound a ses failles. Les dix films présentés ici sont les « meilleurs de tous les temps » par pure majorité statistique – mais il est bon de rappeler que même le n°1 n’a été mentionné que par une partie des votants. Avec 215 mentions sur les 1639 votants, cela veut aussi dire que 87% d’entre eux ne mettraient même pas Jeanne Dielman dans leur top 10. C’est pour cela qu’il est beaucoup plus intéressant de garder une vision d’ensemble sur la liste globale.
Pour la première fois, le classement général de 2022 inclut des films africains, des films d’animation, et des films de la décennie 2010. Des films expérimentaux, des films de réalisatrices se sont hissés plus haut que jamais. À l’inverse, certains anciens classiques comme Lawrence d’Arabie – qui siégeait encore à la 4ème place pas plus tard qu’en 2002 – ont été purement et simplement évincés du classement. Sans oublier La Règle du Jeu de Renoir qui a quitté le top 10 pour la première fois depuis le tout premier classement. Et ça, c’est représentatif d’un changement de nos paradigmes ; à une époque où le cinéma n’a jamais été aussi accessible, nos horizons s’étendent, et la vision de ce qu’on peut considérer comme un grand film est transformée. La vraie force du classement Sight and Sound est de nous rappeler que, bien qu’il prenne toujours plus de coups, assurément, le cinéma n’a jamais été aussi vivant.
— Arthur
Une vraie surprise en effet ! Une belle revanche pour les réalisatrices.
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C’est le moins qu’on puisse dire ; en 2012, Akerman et Denis étaient les seules de tout le classement. Cette année, en plus d’avoir toutes les deux accédé au top 10, elles ont été rejointes par Varda, Sciamma, Deren, Dash, Chytilova, Loden et Campion !
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En effet !
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