Metropolis – Aux origines de la SF

Metropolis ou le plus grand film des années 20.

Notre voyage dans le temps nous a déjà emmené jusqu’aux années 50… Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Continuons sur notre lancée des films en noir et blanc et allons encore plus loin ! Aujourd’hui on va parler d’un film de 1927, d’une légende, d’un pilier, d’une pierre angulaire de la science-fiction au cinéma. Bonjour Billy et bienvenue au 7ème Café ! Je suis Arthur, et je serai ton guide à travers la fabuleuse – ou pas – cité de Metropolis

METROPOLIS

  • Réalisateur : Fritz Lang
  • Acteurs principaux : Brigitte Helm, Gustav Fröhlich, Alfred Abel
  • Date de sortie : 6 février 1927 (France)
  • Pays : Allemagne
  • Budget : 5,3 millions RM
  • Box-office : 75 000 RM
  • Durée : 2h33

UN SIÈCLE DE SCIENCE-FICTION

Pour peu que tu t’intéresses à l’histoire du cinéma et/ou de la science-fiction, tu as forcément entendu parler d’une façon ou d’une autre de Metropolis, et ce malgré ses 90 ans passés. En termes d’importance culturelle et plus particulièrement pour le genre de la SF, le film de Fritz Lang se classe juste entre les œuvres de Georges Méliès et 2001, l’Odyssée de l’Espace. La question est donc de savoir pourquoi, presque un siècle après, on continue encore d’en parler ?

Metropolis raconte l’histoire de la ville futuriste éponyme, une ville où les riches et les puissants vivent dans des tours incommensurables et s’adonnent aux loisirs les plus frivoles dans des stades gargantuesques et des jardins resplendissants, tandis que les pauvres travaillent d’arrache-pied dans les tréfonds de la terre pour alimenter la ville en énergie à la sueur de leurs fronts. Au milieu de tout ça, Freder Fredersen (Gustav Fröhlich), fils du maître de la ville Joh Fredersen (Alfred Abel), s’éprend d’une jeune femme du monde d’en dessous, une figure prophétique pour les ouvriers, du nom de Maria (Brigitte Helm). Dans ce climat de révolution proche, le scientifique Rotwang (Rudolf Klein-Rogge) crée un robot humanoïde, le Maschinenmensch, qui va bientôt semer le chaos sur Metropolis…

À première vue, on a affaire à un classique film de lutte des classes, les pauvres opprimés contre les riches décadents, un scénario vu, vu et revu des milliers de fois au cinéma : Divergente et Hunger Games ces dernières années pour ne citer qu’eux. Et ces idées sont souvent référencées par rapport au nazisme et/ou au communisme. Sauf que remets-toi dans le contexte Billy : on est en 1927 ! Les grandes réformes staliniennes de l’URSS n’ont pas encore eu lieu et Hitler n’est même pas encore au pouvoir en Allemagne. Et on est des années avant Brave New World d’Aldous Huxley et 1984 de George Orwell, qui sont les références absolues des œuvres d’opposition entre les classes. Metropolis est un précurseur incroyable. Et je ne parle même pas des voitures volantes, caméras de sécurité, et du robot humanoïde qui est une véritable révolution pour l’époque. Nan mais est-ce que tu te rends compte ? 1927 !

La liste des films que Metropolis a influencés est tout simplement interminable : Blade Runner, Star Wars, Batman, … Mais même plus que des films en particulier, c’est le cinéma tout entier qui a été changé par le film, en terme de techniques de tournage, d’effets spéciaux, de lumières, de montage… Et c’est d’autant plus impressionnant que à l’époque où chacune de ces œuvres est sortie, Metropolis tel qu’il avait été créé n’existait plus ! La version originale du film durait 153 minutes. Dès 1927, la pellicule avait été coupée si bien qu’il manquait déjà entre 25 et 48 minutes d’images selon les versions. Avec le temps, il est évident que des images ont encore été perdues à cause de la détérioration du matériau de la pellicule, si bien que jusqu’en 1984 il manquait une heure entière de film. Une heure ! Une heure en moins et pourtant le long-métrage a quand même réussi à inspirer toutes ces œuvres successives. En 2001, il manquait encore 30 minutes de film, et il a donc fallu attendre jusque 2010, soit 83 ans après la sortie du film (!!!), pour avoir une version quasi-complète où il ne manque plus que 5 minutes. Et ça, c’est ahurissant.

Le Maschinenmensch dans toute sa splendeur.

UN FILM MONUMENTAL

Il y a simplement un point à clarifier : contrairement au Salaire de la Peur ou à A Night to Remember, Metropolis se regarde moins facilement aujourd’hui, et il a pris un sacré coup de vieux malgré ses idées et visuels avant-gardistes. Mais le plus impressionnant dans tout ça, c’est que même si le film a pris un coup de vieux, ce n’est pas un coup de vieux si violent que celui auquel on pourrait s’y attendre venant d’un film si ancien, car encore au moment où j’écris ces lignes, le film enchaîne les superlatifs.

Et quand je dis que Metropolis est un monument, je le dis aussi bien au sens figuré (« Œuvre majestueuse, imposante, durable, dans un genre quelconque ») qu’au sens propre (« Ouvrage d’architecture, de sculpture, ou inscription destinés à perpétuer la mémoire d’un homme ou d’un événement remarquable« ) au même titre que la Tour Eiffel ou la cathédrale Notre-Dame de Paris, au point que l’UNESCO l’a classé en 2001 dans son programme Memory of the World (Mémoire du Monde) qui vise à préserver le patrimoine de l’Humanité, ce qui fait de Metropolis un des très rares films à être protégé ainsi, au milieu de 416 autres documents qui incluent des archives de la Compagnie des Indes, le journal d’Anne Frank, une Bible de Gutemberg ou encore la 9ème Symphonie de Beethoven, pour ne citer que quelques exemples.

Monumental, Metropolis l’est à de nombreux égards. Dès le départ, la volonté de Fritz Lang en réalisant le long métrage était de filmer « le plus coûteux et le plus ambitieux des films jamais réalisés ». Toute modestie mise à part (hem), il n’avait pas tort. Son œuvre a coûté 5,3 millions de reichsmarks allemands, ce qui équivaudrait aujourd’hui à un budget extraordinaire de 322,6 millions de dollars. Et si on a l’habitude de voir ce genre de chiffres pour nos blockbusters actuels, à l’époque c’était totalement impensable – et la production du film a d’ailleurs failli mettre le studio Ufa en faillite ! Et d’un point de vue purement technique, la pellicule du film mesure plus de quatre kilomètres. Pas très pratique à ranger dans son salon.

Le tournage lui-même fut aussi, sous tous rapports, monumental. On parle souvent de Stanley Kubrick comme un génie tyrannique qui était prêt à tout pour mener un tournage comme il l’entendait, mais ce n’est rien par rapport à Fritz Lang qui, pour le coup, est un grand malade. 370 jours de tournage auxquels s’ajoutent les créations des décors – sur lesquels je reviendrai juste après – et leur installation pour un total de 17 mois de production. Des milliers de figurants. Et un acharnement cinématographique à faire peur de la part de Lang – mais en même temps vu la tête du type on se doute que c’est pas un enfant de chœur (Il a passé la moitié de sa vie un bandeau sur l’œil à cause d’un accident de tournage. Un malade, je te dis.).

Entre autres exemples : le cinéaste a passé deux jours à filmer et refilmer UNE SEULE scène jusqu’à être satisfait au point que Gustav Frohlich avait du mal à se relever à la fin. Il a insisté pour utiliser du vrai feu pour la scène du bûcher, si bien que la robe de Brigitte Helm s’est enflammée. Brigitte Helm qui d’ailleurs a dû résister à bien des assauts. Pour les scènes d’inondation, elle a passé deux semaines de tournage avec cinq-cent enfants figurants de Berlin dans une piscine où l’eau était VOLONTAIREMENT gardée glaciale. Et le costume du Maschinenmensch lui a donné des bleus sur tout le corps. En bref, une pure partie de plaisir.

Et le Maschinenmensch, parlons-en justement. S’il y a une chose, une seule, que tu connais de ce film Billy, c’est lui. C’est le robot. Tout le monde le connaît, c’est une véritable légende de la science-fiction. Mais encore une fois, j’aimerais que tu te rendes bien compte de ce dont quoi on parle ici. On est en 1927, et on a un robot ; mieux encore, ce n’est pas une boîte de conserve et en plus c’est une femme ! Une femme ! En 1927 ! Je n’ai même pas les mots pour exprimer à quel point le Maschinenmensch est révolutionnaire pour son époque. Le costume est magnifique, encore aujourd’hui, et il va donner ses lettres de noblesse à la robotique de cinéma. Tous les robots humanoïdes du 7ème Art sont les descendants du Maschinenmensch, de façon plus ou moins directe – je pense notamment à C3PO dans Star Wars.

Mais qu’est ce qui n’est pas révolutionnaire dans Metropolis ? L’orchestration de Gottfried Huppertz est épique à souhait, s’inspirant çà et là de La Marseillaise ou du Dies Irae. Les effets spéciaux d’Eugen Schüfftan sont du jamais-vu pour l’époque et sont des pionniers dans l’histoire du cinéma : plans en surimpression, mouvements de caméra, trucages pour incruster des acteurs dans des décors miniatures, … Et tout ça sans effet numérique, et sans ordinateur ! Les trucages sont faits avec des miroirs, et les surimpressions sont des pellicules collées les unes sur les autres.

Car Fritz Lang est un homme de visuels. On pourra admettre que le scénario de Metropolis est convenu : un homme et une femme de milieux diamétralement opposés tombent amoureux et engagent un conflit qui les dépasse bien malgré eux ; ça remonte à 1597 et Roméo et Juliette. Certes, le cadre est novateur et il y a quelques twists bien sentis à ce schéma classique, mais le fond reste banal. Et au final, on s’en fiche complétement. Les films muets ne sont pas connus pour briller par leurs dialogues, de fait. Metropolis est une pure expérience visuelle. La cinématographie est incroyable, et certaines scènes sont tout simplement magistrales, comme celle où Maria est juchée sur une statue, entourée de dizaines d’enfants pataugeant dans l’eau qui inonde la ville. Et les décors, mon Dieu, les décors !

Les décors à taille réelle font partie des plus impressionnants de toute l’Histoire, au même niveau que ceux de Cléopâtre ou Intolérance qui sont reconnus comme des œuvres phares dans ce domaine. Les machines des ouvriers, les jardins, le stade olympique, la cathédrale… Mais ce n’est rien par rapport à la maquette de la ville. Metropolis fut un des premiers films à utiliser un décor en maquette réduite, et il est absolument ahurissant. Dotée d’un niveau de détail époustouflant, de jeux de lumière extraordinaires, cette maquette est juste fantastique. Sans parler des trains, avions et voitures miniatures qui se déplacent au milieu de tous ces buildings en carton-pâte ! Pour te donner une idée, la Nouvelle Tour de Babel, au centre ci-dessous, mesure environ 6 mètres de haut. Monumental.

source
Jour, nuit, jour, nuit…

LA NOUVELLE TOUR DE BABEL

Nouvelle Tour de Babel qui m’amène justement à mon point suivant. Comme je l’ai dit précédemment, Fritz Lang est un homme de visuels plus que de scénarios. Mais l’histoire de Metropolis n’est pas pour autant sans intérêt et elle présente, étonnamment pour un film de science-fiction, une forte religiosité assumée, si bien que même le pape Jean-Paul II a classé Metropolis en 1995 comme un des rares 45 films qui méritent l’attention selon le Vatican. Mais quel rapport entre un film de style Roméo & Juliette sur fond de lutte des classes et l’Église Catholique ?

Tout le film se construit sur des parallèles appuyés – je dirais bien métaphores mais la subtilité est proche de zéro – avec deux passages de la Bible : d’un côté la construction de la Tour de Babel (Gn 11) et de l’autre la chute de Babylone (Ap 17-18).

En ce qui concerne Babel, la métaphore est tellement flagrante que le mythe est raconté littéralement dans le film par le personnage de Maria (Maria, Vierge Marie, subtilité, quand tu nous tiens). Pour rappel, l’histoire de la tour de Babel se situe au tout début de la Bible à une époque où tous les Hommes parlent la même langue. Un jour, ils décident de construire une tour infiniment haute qui les mènerait jusqu’au ciel et les rendrait égaux à Dieu. Ce dernier, n’appréciant pas beaucoup l’idée, mélange donc les langues de tous les Hommes si bien que d’une langue commune ils arrivent à une multitude de langages, et ne pouvant plus parler la même langue, ils ne peuvent plus non plus se coordonner pour construire la tour de Babel et donc le chantier ne finit jamais. Pour citer Robert Browning : « Dieu est là-haut dans son Ciel – tout va bien dans le monde. »

Dans le cas de Metropolis, la tour de Babel est bien terminée et sert de quartier général au maître de la ville, Joh Fredersen, et s’appelle d’ailleurs la Nouvelle Tour de Babel (toujours aussi subtil Monsieur Lang). Sauf que cette fois l’Homme ne cherche pas à se rendre égal à Dieu via la tour elle-même, ce n’est qu’une représentation visuelle. L’usurpation divine cette fois tient en la « personne » du Maschinenmensch : en créant la « vie » pour contrecarrer la mort de leur amour commun perdu, Fredersen et Rotwang transgressent les lois de la Création et se rendent égaux à Dieu. Mais comme dans le mythe originel, cela va se retourner contre eux et donne donc le premier message du film qui stipule que quelles que soient les machines qu’il invente, peu importe l’immensité de ses villes, l’Homme est et restera toujours Homme. Dans un monde au capitalisme de plus en plus présent, Lang invite donc ses contemporains à ne pas oublier les personnes derrière les machines.

Le même schéma narratif se retrouve un peu avec la chute de Babylone. À un moment du film, un moine lit un passage de l’Apocalypse de Saint-Jean, à la fin de la Bible, évoquant la décadence de la cité mythique de Babylone. On y croise la Putain de Babylone, de son nom complet « Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre », montée sur une bête infâme à sept têtes et dix cornes, s’abreuvant du sang des saints et s’accompagnant de la Mort et des Sept Péchés Capitaux. Niveau apocalypse, ça se pose là. La Putain va donc réduire Babylone, une des plus grandes cités de l’Antiquité, en cendres et ses habitants avec pour la punir de son vice, sa décadence et sa déréliction morale. Elle-même termine son parcours sur un bûcher après avoir accompli sa tâche et fait disparaître la cité orgueilleuse de la surface de la planète, avalée par le désert environnant. Bon, et où vient se placer Metropolis dans tout ça ?

Encore une fois, pas besoin d’avoir fait Sciences-Po pour comprendre où Lang veut en venir. Babylone, c’est Metropolis : une cité démesurée et décadente où les riches vivent dans la luxure et l’oisiveté écrasant les travailleurs de leur botte dorée. La Putain, c’est le Maschinenmensch qui a volé les traits de Maria et va semer le chaos dans la mégalopole, remplaçant l’incendie formidable par une inondation dantesque qui ne sera pas sans rappeler notre cher Noé et son Arche, avant de finir de même en flammes par la volonté du peuple. Mais là où ça devient intéressant, c’est que la Putain, la fausse Maria, est donc mise en opposition avec la vraie Maria, qui est une figure messianique – encore une fois présentée subtilement sous le titre de « Sainte » – essayant tant bien que mal d’apporter la paix entre les peuples métropolitains. L’Apocalypse biblique déferle sur Metropolis pour remettre les Hommes à leur place et rétablir l’équilibre naturel des choses.

Metropolis est finalement un simple jeu de contraires. Les pauvres contre les riches. Maria contre le Maschinenmensch. L’Homme contre Dieu. Le Salut contre l’Apocalypse. Le Bien contre le Mal. Et au milieu de tout ça il y a Maria et Freder, les amants qui par la force de leur cœur vont mettre à mal la Putain de Babylone elle-même, et réconcilier Metropolis quand elle tombe à genoux. C’est beau, non ?

Une scène mortelle.

LE MOT DE LA FIN

Metropolis est un film légendaire, visuellement révolutionnaire, fondamentalement épique et d’une ampleur presque biblique. Il pâtit aujourd’hui un peu de son âge canonique, mais un adjectif, un seul, saurait encore pourtant définir sa grandeur : monumental.

Note : 8 / 10

« Le médiateur entre la tête et les mains doit être le cœur. »

Maria
Vade retro Satanas !

— Arthur

Tous les gifs et images utilisés dans cet article appartiennent à leurs ayant-droits respectifs, et c’est très bien comme ça

Un commentaire sur “Metropolis – Aux origines de la SF

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  1. METROPOLIS CE CHEF D’OEUVRE ! Le film qui m’a totalement fait changer mon regard sur le cinéma, qui m’a fait comprendre que tout ne commence pas en 1950 mais bien avant, que le cinéma muet ce n’est pas juste du pantomime stéréotypé et désuet, loin, très loin de là. C’est en effet un film très marqué par la mythologie biblique, et il est hautement symbolique. Rien à rajouter si ce n’est que je ne peux que partager ton enthousiasme à son sujet 😉

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